Michel Fores : Un temps à peindre, par Christophe Massé
J’ai toujours vu Michel Fores peindre. Nous n’allons pas parler d’épisodes, ni de modes, peut-être même pas de séries, ni de thèmes, ni de titres. J’ai toujours vu Michel peindre et je l’ai toujours entendu parler de peinture. La peinture comme un élément de son paysage : Le sol, l’horizon, le mur, le ciel. La peinture est une histoire de femmes et d’hommes. De peintres, de couleurs et de matériaux. Nous pouvons dire « la peinture », celle des hommes des cavernes aux maîtres de la Renaissance, à l’abstraction, la lyrique, la gestuelle, la géométrique, l’abstract painting ou celle européenne des années 50’, à la nouvelle abstraction des années 90’ et encore j’en passe. Nous nous perdrions à aller trop vite découvrir son travail, à glisser entre nos lèvres le bonbon du critique. Nous pouvons trouver dans cette quête, ce que la peinture offre à celles et ceux qui vont s’enrichir à son contact une vie durant. Reconnaître c’est accepter, et dans cette illusion passe, se faufile certainement, ce qui est le moins gratifiant dans notre histoire, l’histoire, celle des hommes contemporains ; avec leur besoin permanent d’identification et de reconnaissance, parfois certainement au détriment de la connaissance du temps, celui du mot, de la trace, du geste et encore d’autres formes d’expressions qui n’appartiennent qu’à un individu dans son propre temps. Cela ne veut bien évidemment pas dire que tout ce qui se passe dans le temps de peindre à de l’intérêt et du sens, l’exercice en serait un et nous en resterions là. Cela veut bien dire par contre qu’il y a un temps valable ou espéré aujourd’hui pour le développement de sa curiosité personnelle et non plus pour celle dictée par celles et ceux qui ont le pouvoir politique de nous convier à des évènements culturels. En ce sens le parcours de Michel Fores est à contresens avec les perspectives souhaitées et même à rebours comme certain(e)s qui décidèrent d’arpenter dans le sens inverse du poil, de caresser les aiguilles de la montre en les tenant aimantées une vie durant. Ce temps à peindre est sorti de son cérémonial, les toiles étaient libres et le sont restées, le contreplaqué était là, et n’a pas bougé, les petits formats ont parcouru les à-côtés, à la frontière, des gammes sans importance, des mouvements, des recherches, des essais. Michel peint, entasse, empile, superpose, enchevêtre. Pierre Soulages doit penser que Michel Fores fait bien et des tas de types font la même peinture que lui, comme lui fait « presque » la même peinture que d’autres. Il y a toujours quelque chose en plus avec le temps. Le nombre, la rengaine, le poids des vies, l’usure, le doute, la bonne et la mauvaise santé, mais ce « quelque chose » est omniprésent et demeure, s’enracine, se fortifie dans les accumulations, et rend le travail éminemment poétique comme un recouvrement sur le rien de l’existence. La peinture est aussi le choix d’un lieu, son enracinement dans une nature, un pays, une région. Michel Fores peint le Gers. Cette œuvre dans le temps depuis que j’en guette les évolutions a un pouvoir qui m’intrigue, celui d’approcher les limites physiques du bord des supports, sans jamais les considérer totalement, avec la facilité du débordement, comme si toujours la vie comme l’acte de peindre pouvait aussi se passer ailleurs dans la périphérie. Deux champs à l’horizon et le ciel, la terre et un chemin qui bifurque comme une ligne perdue mais toujours horizontale ou verticale prise dans le rectangle des existences. Et les limites psychologiques ; crier fort dans le calme et en mourir presque, pousser fort l’arbre qui tient la forêt, retentir comme la marée, le flot des paroles qui ne s’arrêtent jamais et sortent bien évidemment du cadre rationnel. Peut-être aussi nous devrions enchâsser avec cette œuvre au long cours, la particularité d’avoir si longtemps maîtrisé l’art de la fresque et l’embrasement aux sols déposés des jus, aplats langoureux et autres remontées liquides dans les supports sacrés des églises, qu’elle en est devenue héritière, gardant sous son aile la fierté du prolétaire et fils de prolétaire et petit-fils de prolétaire, républicain espagnol des premières heures, quand ce passage de la frontière est aussi à fortiori symbolique et une histoire de camp, de choix, de position. Prise de position, continuité dans le temps, harassante et entêtante obstination à l’acte, du faire surface, du faire dans l’espace, jeté, coulé, enduit, reproduit, ramassé, et créant par sa seule symbolique, des aplats contre aplats, des textures dans leurs simplicité, draps froissés, traces des marquants, empreintes de mains et de pieds, de chaussures et de l’ensemble des forces du faire. Michel Fores ne donne pas de titre, ne signe pas, ne regarde pas l’histoire de sa peinture avec d’autres yeux que ceux d’un peintre prisonnier et libre dans les rets de son temps. Christophe Massé, 24 octobre 2018.
Sa première exposition personnelle au début des 80’ à L’Arco à Madrid suite à celle dans une galerie bordelaise à la même époque est aujourd’hui trente ans plus tard dans son prolongement rigoureux, les quelques pièces présentées pour Boustrophédon à la Machine à Musique à Bordeaux (Hélène des Ligneris) sont visibles jusqu’au 4 novembre.
Christophe Massé